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Art et Décoration  Volume III    Page: 176
 
Les Bijoux aux Salons de 1898 By Henri Vever
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Les Bijoux aux Salons de 1898

Depuis quelques années, on a
heureusement renoncé aux
classifications ridicules dans
lesquelles on s'efforçait de
hiérarchiser l'Art, et les
Arts qualifiés autrefois de
mineurs ont enfin atteint
leur majorité. La question n'est plus même
controversée de savoir si l'Art industriel ou
décoratif est de l'Art, puisqu'il est fraternellement admis aux salons annuels des Beaux-Arts
au même titre que la Peinture ou la Sculpture.
C'est là un fait acquis dont le premier résultat
a été de donner un nouvel essor aux productions de nos ouvriers d'art.

Pendant trop longtemps, on s'est inspiré
des anciens modèles que souvent on se contentait de modifier à peine. La lassitude est
enfin venue des œuvres empruntées à l'arsenal
des vieux documents et on a été saturé de
déjà-vu. Un mouvement s'est alors créé pour
la recherche d'un Art inédit qu'on désigna
sous le nom d' «Art nouveau» — terme impropre qui ne signifie pas grand chose, car
l'Art est toujours nouveau pour qui sait le
pratiquer — mais qui a fait surgir des productions originales, parfois excentriques, mais
toujours sincères et, la plupart du temps, très
intéressantes. Le point de départ de ces tentatives a été l'étude de la Plante et ses applications.

On commença donc à sortir de la routine et
des rabâchages archéologiques ; aussi, les encouragements ne manquèrent pas à ceux qui
firent ce premier effort. Gagnant de proche en
proche, ce mouvement est devenu une poussée
générale d'une force inouie; l'air ambiant s'est
modifié; chacun s'est mis à chercher dans son
propre fonds et a repris confiance en lui-même. Le résultat, timide d'abord, s'affirme
de jour en jour, et, dans toutes les branches
de l'industrie, c'est un réveil de bon augure.

Nous n'avons à nous occuper dans cet

article que des bijoux proprement dits en laissant de côté l'orfèvrerie qui mériterait une
étude spéciale.

Parmi les envois de cette année, nous re 


Collier : têtes pierres fines sculptées, coiffées d'or. R. LALIQUE.

Peigne corne, enrichi d'opales. R. LALIQUE.

Art et Décoration  Volume III    Page: 184
 
Les Bijoux aux Salons de 1898 By Henri Vever
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VASE EN VERRE OPALISÉ ET ARGENT - Par R. Lalique.

PENDANT DE COU - Par R. Lalique.

Art et Décoration  Volume III    Page: 170
 
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Les Bijoux aux Salons de 1898


trouvons, dans plusieurs vitrines, diverses
séries d'un mérite inégal, les uns très intéressants, les autres, 'd'une banalité courante et d'une fabrication commerciale qui devraient
leur interdire d'une façon absolue les portes
du Salon. La section des objets d'art ne conservera sa raison d'être qu'autant que les
artistes se montreront très sévères pour l'admission des œuvres présentées. Il ne faut
pas que les vitrines du Salon ressemblent aux
étalages que l'on peut voir dans tous les magasins et les artistes industriels devraient avoir
à cœur de n'envoyer que des œuvres qu'ils
considèrent comme exceptionnelles et particulièrement réussies. Tout le monde y gagnerait.


Parmi ceux qui sont venus à l'heure la plus
favorable pour prendre part à la poussée générale, M. Lalique est un de ceux qui ont le
mieux réussi. Bien que ses premiers envois
aient étonné par leur hardiesse et leur originalité un peu exagérée, il s'est créé une place
à part dans l'industrie du bijou artistique et il
a rapidement conquis la faveur du public aussi
bien que les faveurs officielles. Certains lui
ont même reproché la rapidité de ses succès.
Qu'on me permette de ne pas partager leur
avis; nous voyons, en effet, assez souvent encourager des tentatives plus ou moins heureuses de rajeunissement des industries d'art,
pour que nous puissions approuver sans réserve les récompenses
décernées aux artistes
qui se placent, sans
conteste, au premier
rang, et dont l'exemple
contribue puissamment
à la transformation de
toute une branche d'industrie. C'est ce qui est
arrivé pour Grasset,
pour Galle, pour Chéret
et pour tant d'autres
qui ont été les créateurs
de prototypes dont s'inspirent beaucoup d'artistes habiles, mais incapables d'innover par
eux-mêmes. Ce sont
ces maîtres qui donnent
l'orientation nouvelle et
c'est par leurs imitateurs et par leurs élèves
que leurs idées pénètrent graduellement
dans toutes les branches
de l'art décoratif et se
vulgarisent dans le
grand public.


Pour la joaillerie,
Massin a joué jadis un
rôle prépondérant, il en
sera de même dans la
bijouterie pour Lalique;
son influence se fait déjà
sentir et c'est avec une
véritable satisfaction
que nous le constatons.
Son exposition de cette
année est un enchantement pour les yeux; il y
montre les mêmes qualités que les années précédentes, mais plus
pondérées; l'ensemble est exquis et constitue un vrai régal pour ceux qui sont épris des

Peigne corne. R. LALIQUE.

Chaîne à deux pendants (émaux translucides.) R. LALIQUE.

Art et Décoration  Volume III    Page: 171
 
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Les Bijoux aux Salons de 1898


belles œuvres. Que les lecteurs de cette Revue
n'attendent pas de moi une description
minutieuse, et d'ailleurs impossible à
faire; je les renvoie aux planches ré 
parties qui, malheureusement, reproduisent les objets à une échelle réduite et ne peuvent, hélas, rendre ni
la richesse de la matière ni l'harmonie
des colorations. Comment dépeindre
en effet le charme de ces fleurs, de
cette orchidée, de ce chrysanthème
frisé dont les pétales d'émail vert sont
d'un sentiment si juste et si artistique, l'aspect si frais et si naturel, de
ces anémones avec leur corolle d'une
douceur exquise sculptée dans des
opales aux reflets caressants et irisés?
N'est-ce pas admirable de voir interpréter ainsi par une pierre dure ce
que l'épiderme d'une fleur a de velouté et de délicat? M. Lalique emploie abondamment l'opale, ce en
quoi il a raison. Vous verrez sur nombre de ses bijoux un de ces morceaux
d'arc-en-ciel qui semblent voilés d'une
lueur lactée: les mille reflets de cette
pierre, jadis discréditée, se combinent admirablement avec les tons variés de l'émail et leur éclat se marie
d'une façon très heureuse avec celui
des pierres vives et précieuses telles
que le diamant, l'émeraude, le rubis.
M. Lalique connaît toutes les ressources de sa palette, il s'en sert en
virtuose, et il excelle à poser avec un
rare bonheur les touches les plus délicates. Très épris des colorations
douces et harmonieuses que donnent
l'or, l'émail, les pierres les plus diverses, il produit avant tout des œuvres d'une originalité qui lui est propre et d'un goût toujours raffiné. Ce
sont là ses qualités maîtresses, c'est un
artiste admirablement doué, doublé,
d'un travailleur infatigable. Cependant, on lui reproche parfois, par un
excès même de ses qualités, de faire
plutôt des objets de vitrine, des pièces
de musée, des bibelots en un mot, que
des bijoux que l'on puisse porter facilement. Tout le monde n'est pas Sarah
Bernhardt ou Cleo de Mérode, et
nombre de ses jolies admiratrices sont un peu
effarouchées par l'originalité même qui le personnifie et qui, parfois, frise l'excentricité. En

effet, quelle est la femme, si élégante soit-elle, qui puisse facilement retenir ses cheveux avec

Devant de corsage : tête en pierre fine sculptée, à chevelure d'or, ornée de fleurs en diamants.
R. LALIQUE.

Art et Décoration  Volume III    Page: 172
 
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Les Bijoux aux Salons de 1898


un des peignes dont voici une vitrine pleine?


Pourtant cette série est très intéressante et
très variée, et il y en a que j'aime beaucoup :tel est celui aux deux paons si heureusement
agencés devant une rosace d'opales, et cet
autre, en corne, avec des décors d'ombelles qui
rappelle certaines laques du Japon. Achetés
par le Musée des Arts Décoratifs, ils y feront
très bonne figure par'c'e qu'ils seront placés
dans une vitrine et qu'ils semblent avoir été
faits pour cet usage. Les autres aussi sont bien
curieux : cette femme en ivoire, qui danse au
milieu de guirlandes de fleurs d'or, d'émail et
de diamant est charmante; ces trois têtes
espiègles qui regardent à travers les dents du peigne, sont originales assurément, ainsi que
ce poisson, très japonais, lui aussi, qui semble
une préparation de cloisonneur, avec les fonds
peints d'un joli effet. Je goûte moins cette frise
de personnages et cette autre avec trois figures
qui se tiennent par la main; ces bas-reliefs
dans la corne deviennent un peu mous et empâtés, ils ont en quelque sorte un aspect de
carton estampé. Il est impossible de les citer tous. Toutefois, à quelques exceptions près,
on ne les voit pas très bien placés sur la tête
d'une jolie femme, malgré la coiffure actuelle

Peigne corne paons sur rosace d'opales.
B. LALIQUE.

Peigne corne à fond d'opales. E. LALIQUE.

Art et Décoration  Volume III    Page: 180
 
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qui se porte très haute. C'est un reproche que
j'ai entendu formuler couramment et très judicieusement, et dont il y aurait lieu de tenir
compte pour l'avenir. Notons en passant que
ce sont les Japonaises — ainsi que l'a très justement observé Théodore Duret, — qui, les premières de toutes les femmes, eurent l'idée de
transformer le peigne en
objet d'ornement planté
d'une manière fixe sur
la tête, et cette mode
n'est pas antérieure à
1700. Les nombreux
peignes qui existent depuis la plus haute antiquité jusqu'à cette date,
même lorsqu'ils étaient
des objets d'art décorés
et ornés comme ceux
des Assyriens, des
Égyptiens, du moyen
âge et de la Renaissance,
étaient toujours des peignes liturgiques ou des
peignes à peigner. Il
n'était venu à l'esprit
d'aucune femme, dans
aucun pays, de se mettre un peigne sur la tête
en permanence, d'en
faire un objet d'ornement en même temps
que d'utilité pour retenir la chevelure.

Mais pour revenir aux
bijoux qui nous occupent, il serait bien curieux de voir quel effet
produirait dans la coiffure ce diadème en
bronze vert formé d'une
naïade qui, le torse rejeté en arrière, soulève
au-dessus de sa tête une
opale de forme ovoïde dont elle semble admirer les mille couleurs qui s'y entre-croisent.
Les jambes de la sirène se prolongent
en manière de tentacule rehaussé dé-ci dé-là
par une minuscule goutte d'émail vert, et
viennent s'enrouler autour de deux gros
camées d'opale sur lesquels sont figurés des
poissons. Ces deux camées doivent se placer
de chaque côté de la tête, au-dessus des tempes.
Restez quelques instants devant cet objet, et

observez-le à loisir, vous entendrez bien des
réflexions intéressantes : on cherche à se rendre
compte de l'effet que produirait cette pièce qui
est fort belle en elle-même, mais qui a dû être
faite spécialement pour la personne qui la
portera. Que deviendrait sur une chevelure
brune ou blonde cette belle patine sombre?
nous ne sommes plus
à l'âge d'airain; une
telle sévérité est-elle
bien seyante dans la
parure d'une Parisienne? C'est un objet
qui, dans la vitrine de
M. Lalique, est plus
charmant encore parle
contraste qu'il forme
avec les parures si heureuses de couleur qui
l'avoisinent. Nous pensons que, sans vouloir
être trop «bourgeois»,
ces critiques ne sont
pas tout à fait dénuées
de fondement, et qu'il
ne faut jamais perdre de
vue la destination, sinon l'utilité de tout objet d'art.

Voici des pendantifs
ou, pour mieux dire, des pent-à-col, dont la
vogue fut si grande au
moyen âge et jusqu'à la
fin de la Renaissance.
A cette époque, ils atteignaient parfois des
prix exorbitants, et l'inventaire des joyaux de
la reine Clémence en
1328, celui de Charles V en 1380 nous en
signalent plusieurs qui
étaient prisés fort cher,
certains sont parvenus jusqu'à nous; nous
pouvons les admirer au Louvre, à Cluny, au
cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale, sans compter ceux des collections
particulières et des musées étrangers parmi
lesquels il convient de citer tout spécialement
l’Ermitage de Saint-Pétersbourg et la Voûte
verte de Dresde. Nous en voyons aussi reproduits dans maints portraits de grandes dames
et de reines. Holbein en a dessiné qui sont


Peigne d'ivoire patiné : guirlandes de fleurs en or,
émail et diamants. R. LALIQUE.

Art et Décoration  Volume III    Page: 174
 
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restés célèbres, et, dans l'inventaire de Gabrielle d'Estrée tout un chapitre est consacré
à ce genre de bijoux. Trois d'entre-eux y sont
estimés vingt-cinq mille écus. Il n'y a aucune comparaison, aucun rapprochement
à vouloir faire entre ces objets et ceux dont
nous parlons, ce serait absurde. Ceux que nous
avons sous les yeux sont bien de notre temps.
Il faut savoir gré à M. Lalique de tenter de faire revivre, en la rajeunissant, une mode qui
était si en honneur du temps de nos pères, et
qui, en tout cas, lui a inspiré de si jolis bijoux :
qu'ils soient suspendus au cou par une simple
chaînette d'or ou que cette chaîne soit ornée
de perles ou d'émaux, ils sont d'un effet charmant. Celui-ci, par exemple, formé de deux
paons blancs affrontés, avec une émeraude au
centre, n'est-il pas exquis? le jeu des brillants
du fond fait encore ressortir la valeur de
l'émail. Quel gracieux arrangement que ces
deux oiseaux dont le plumage blanc est cerné
d'un mince feston d'or fin ! C'est une idée ingénieuse que d'avoir choisi pour fond de ce bijou
la forme d'une plume de paon dont l'œil est
figuré par l'émeraude centrale. Et quelle admirable exécution! C'est la perfection poussée
jusqu'à ses dernières limites, qui se retrouve,
du reste, partout ici aussi bien dans cet autre
pendantif où un bâton d'opale se trouve encadré par des anémones fleuries, que dans
celui où deux cygnes se promènent tranquillement sur une eau clapotante avec des émaux
d'une harmonie rare. Les anneaux de suspension de ce bijou si distingué sont formés eux-mêmes par deux têtes de cygne repercées dans
l'or. En voici encore un autre bien élégant,
c'est celui où une femme debout, dans une
attitude très droite, très hiératique, est sculptée
dans un onyx blanc. Sa chevelure étalée lui
fait un manteau d'or, rendu plus riche et plus
vibrant par des stries repercées dans le métal.
Elle se dresse au centre d'une touffe d'iris
blancs aux feuilles d'or verdâtre, qui s'écartent
devant sa beauté nue. Les racines de la fleur
forment un motif très heureusement trouvé
pour suspendre une perle d'un ovale parfait.


Nous retrouvons la même variété d'invention
dans ces longues chaînes que terminent deux
pendants. Ici, ce sont des fuchsias d'une tonalité exquise, là, une branche de chèvrefeuille en
fleurs que rehausse discrètement de distance
en distance l'éclat d'un diamant. Ailleurs, un

Bijoux. H. NOCQ.

Art et Décoration  Volume III    Page: 175
 
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cylindre de cornaline, rappelant les cachets
assyriens et égyptiens, est suspendu par un
bouquet d'oeillets blancs à une chaîne avec
plaques ajourées et émaillées dont
les motifs sont formés par des initiales et des dates, agrémentées de
délicieuses fleurs minuscules. Partout enfin la fantaisie, le caprice, se
donnent libre cours. Il ne nous est
pas possible de tout décrire, ni
même de tout citer, et cependant il
est difficile de passer sous silence
ce vase en verre opalin dont les
boursouflures sinueuses sont délimitées par des serpents d'un beau
dessin, cette broche charmante où l'on voit le
fin profil d'une femme à la chevelure émaillée
dont la main délicate tient des plumes de paon
qui garnissent le fond de leurs nuances délicieuses; cette autre où une tête coiffée d'or et
casquée se termine en ailes de papillon; et
celle-ci encore, pour finir, d'une patine si colorée, si chaude, si dorée, qu'on ne sait vraiment dans quelle matière elle est pétrie. Je
collier qui, vraisemblablement, doit l'accompagner. Ce sont là des pièces importantes,
d'une réelle originalité. Nos reproductions me m'arrête. Il me reste pourtant à dire deux
mots du grand ornement de corsage et du
dispenseront de les décrire. Les têtes sont en
agate nuancée de vert, les chevelures, très ornementales, sont traitées en alvéoles repercées; celle du devant de corsage, qui est très
longue et semée de fleurs de cerisier en diamants, tombe en cascade d'or repercé d'un
ton très heureux. Mais je me demande, ici
encore, si ce sont là des bijoux faciles à porter? L'avenir nous le dira.

On peut juger par cet aperçu de l'extraordinaire facilité d'invention de M. Lalique. Il ne
s'inquiète pas de la qualité des pierres ou des
perles qu'il emploie, imitant en cela les artistes
de la Renaissance, il sait mettre en valeur un
cabochon défectueux, une perle baroque, par le
charme et par l'art de ses montures. Son talent
très souple et très personnel sait varier à l’infini
les formes et les couleurs, et il apporte dans
ses créations le souci d'une exécution irréprochable. Il faut nous réjouir qu'une pareille
fécondité soit alliée à un goût d'une distinction rare. Dans les musées de l'avenir, ses
œuvres plaideront en faveur de notre temps et
rachèteront, dans une certaine mesure, la faiblesse des productions de cette époque, si
triste au point de vue du bijou, qui commence
vers la Restauration pour s'étendre jusqu'au
milieu du second Empire. Nous ne saurions
assez applaudir à cette régénération d'une
industrie qui nous tient à cœur et dont les
nombreuses ressources ont été négligées pendant trop longtemps.


Souhaitons seulement que les œuvres nouvelles soient d'une fantaisie moins excentrique et mieux appropriées à l'usage. Souhaitons
aussi que ces belles patines aux tons si délicats
ne soient pas fragiles et superficielles, comme
je le crains et que leur charme ne disparaisse
pas en quelques années par suite des frotte 


Broches. V. PROUVÉ.

Pendant de cou. FOUQUET.

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ments et des attouchements inévitables dont
l'artiste soucieux de son œuvre doit toujours se préoccuper.


Après ce qui précède, j'éprouve quelque embarras à parler
de M. Gueyton et de
M. Fouquet dont les œuvres, sans avoir la
maîtrise de celles que
nous venons de décrire, ne sont cependant pas sans qua
lités; on a pu, du
reste, les apprécier
déjà dans des expositions précédentes où
ils nous ont montré
des productions intéressantes.


Chez le premier, à
côté des bijoux de fabrication courante,
nous retrouvons plusieurs objets traités
avec cette décoration
de feuilles de latanier
ou de palmier à laquelle il nous a habitués depuis si longtemps et qui, si elle
ne nous lasse pas encore complètement,
ne nous apprend plus
rien de nouveau.


Malgré de louables
essais de patine et de
coloration, je n'aime
pas beaucoup sa chauve-souris, aux ailes
transparentes d'un
ton vert et rouge ; au
contraire, sa boucle
de ceinture formée par
un serpent d'or ciselé
est d'un excellent modelé, d'une interprétation très juste, et d'un
aspect fort agréable.


Quant à M. Fouquet, il a subi évidemment l'influence de
Lalique, à son insu, sans doute mais les analogies n'en existent pas moins. On peut adresser à ses œuvres la même critique, générale,
de n'être pas très pratiques; de plus, les objets qu'il nous présente ont une patine
plutôt triste et manquent de légèreté. Le
grand pendant de cou
avec figurine d'ivoire
sur fond d'écaillé est
d'un joli agencement
mais il est volumineux, ses reliefs sont
trop accentués; les algues qui s'épanouissent aux pieds de la
femme ainsi que l'encadrement de la partie inférieure du bijou
gagneraient à être sensiblement allégis. La
même observation
peut s'adresser à la
grande épingle de
coiffure à tête d'ivoire
que je préfère cependant et dont, la composition, bien qu'un
peu architecturale,
dénote une recherche
décorative intéressante. Le fond est en
écaille avec lamelles
d'opales et le sommet
se termine par un rubis cabochon; il est à
regretter que l'exécution en soit lourde, on
ne sent pas que cet
objet est en or; on
dirait une fonte dont
la ciselure un peu sommaire semble avoir
été exécutée par un
bronzier plutôt que
par un bijoutier.

Il en est de même
de la grande boucle
en argent oxydé et
doré, avec parties
d'émail, qui paraît un peu grande et massive,
. et de l'orchidée aux
émaux translucides nuancés de vert et de
violet dont un motif de ferronnerie, trop

Peigne. FOUQUET.

Art et Décoration  Volume III    Page: 177
 
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Pendant de cou : figure sculptée en agate, chevelure d'or, fleurs émaillées.

Pendant de cou ciselé et émaillé. — Pendant ciselé à fond d'émail cloisonné.


Pendant : paons (émail blanc, emeraudes).

R. LALIQUE.

Art et Décoration  Volume III    Page: 178
 
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solide peut-être soutient la perle baroque.


Les tentatives comme celles que nous montre
notre jeune confrère ne
réussissent pas du pre 
mier coup ; néanmoins,
elles méritent tous les
encouragements parce
qu'elles sont sincères
et qu'elles témoignent
d'un effort réel pour
sortir de la banalité.


Les émaux transparents de M. Suau de la
Croix rappellent sans
les égaler les travaux
analogues des Russes et
des Scandinaves. Nous
aimerions y voir plus
de recherche et de raffinement dans la coloration, ainsi qu'un dessin
plus étudié et plus châtié. M. Thesmar nous a
montré dans ce genre
des choses tellement supérieures qu'il nous a
rendus difficiles. Signalons encore les deux
broches que M. Victor
Prouvé expose parmi
des objets divers : l’Aurore et le Crépuscule
sont personnifiés par de
jeunes femmes dont le
buste émerge dans les
fleurs. L'idée est jolie,
la composition charmante, mais si le bijou
reste confus, c'est peut-être parce que la main
habile qui l'a exécuté a
ciselé le cuir avant de
s'être attaquée à l'or.

M. Nocq est un artiste intéressant, jeune et
convaincu, qui s'est tout spécialement occupé
des tendances nouvelles de l'art industriel. Il
a cherché à mettre dans ses œuvres une note
personnelle qui ne manque pas d'originalité
et qui plaît à un certain nombre. Son exécution est grasse er
souple. L'année dernière, son miroir, dans
lequel Narcisse se mirait ingénument, était
un objet charmant et
d'une invention très
heureuse; il séduisit
tous les connaisseurs.
Nous regrettons de n'avoir pas de pièce équivalente à examiner cette
année et les bijoux proprement dits qui figurent dans sa vitrine—les
seuls objets dont nous
ayons à nous occuper
ici—ne sont pas de ceux
qui, personnellement,
me séduisent beaucoup. Mais M. Nocq
est un chercheur infatigable et un de ceux
dont nos lecteurs suivent les travaux avec le
plus d'intérêt; nous aurons certainement l'occasion de le retrouver
et de nous étendre plus
longuement sur ses œuvres.


Qu'on veuille bien m'excuser si dans ces
notes rapides il s'est
glissé quelques critiques; elles sont dictées
uniquement par un désir ardent de voir nos
industries progresser
dans la voie de l'Art et
par la sympathie même
que m'inspirent ceux qui luttent si vaillamment pour atteindre les hauts sommets de l'Idéal et
du Beau dont les efforts, j'en ai la conviction,
seront couronnés de succès.

HENRI VEVER.


Peigne corne patinée. R. LALIQUE.


Bracelet : chauve-souris d'émail sur or ; étoiles en diamant. R. LALIQUE.