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Art et Décoration  Volume VI    Page: 226
 
Les Maitres Décorateurs Français. René Lalique By Roger Marx
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Les Maitres Décorateurs Français. René Lalique

trois grâces : un vrai motif de bas relief pompéien, trois figurines, on dirait en bronze vert,
intercalées dans les arabesques en vieil or
d'un peigne d'impératrice. Dans le peigne
aux paons, les queues ocellées des deux oiseaux de Junon s'irradient et s'éploient,
l'une en émail bleu et l'autre en or vert sur
une rosace en lazulite; les deux oiseaux sont
de profil et leurs queues métallisées traînent
en relief sur l'ambre clair du peigne. Dans
le peigne au poisson, tout en écaille, c'est
une découpure de la matière même qui
fournit le motif d'ornementation; l'animal
se cambre, se tord dans la transparence
blonde de l'écaillé que les laques vitrifient
et c'est toute la vie glauque de l'eau figée
dans la matière d'un peigne.» Pourquoi M.J.-K.
Huysmans ne s'est-il pas distrait à définir, de
son côté, ces piquets de fleurs orfèvrées, (dont la
perfection laisse si loin derrière elle les essais de
Tiffany) (1), et qui n'eussent point déparé, par
leur exotisme étrange, les serres de des Esseintes? Mais ce serait faire tort à M. Lalique que de
confisquer sa gloire au profit des seules lettres.
Il ne lui a manqué ni l'hommage d'un encyclopédiste et d'un érudit comme M. Emile Molinier, ni les applaudissements enviables, entre
tous, de ses pairs. Chacun se rappelle avec
quelle magnificence M. Henri Vever s'est acquitté ici-même envers lui (2), et on aime à relire, dans la Galette des Beaux-Arts de 1897,
la page ou M. Emile Galle, après avoir
loué «une synthèse impérieuse avant tout
occupée d'assurer la marche de la personnalité vers la conquête du caractère», salue en
M. Lalique «le plus incontestable vainqueur
en Beaux-Arts au Palais de l'Industrie» (3).

S'il était besoin d'établir par une preuve
nouvelle le rang primordial de l'œuvre, on
le trouverait dans la suprématie de
son action qui a prédominé à l'étranger
comme en France, sur la bijouterie
de prix comme sur la bijouterie en faux.
Un style date vraiment de M. René Lalique. Je n'ignore aucune des objections élevées contre lui et plutôt m'en réjouis. C'est
une constante, une nécessaire aventure
de voir traiter le nouveau de bizarre,
et l'initiative de folie. Les accusations
«d'excentricité» n'ont pas cessé d'être
portées, ce siècle durant, contre nos
plus purs génies et nos plus immortels
chefs-d'œuvre. Comment auraient-elles
épargné M. Lalique puisqu'en reculant
les limites de son art, il en a fatalement modifié
les lois?

(1) Comparez, par exemple, le Pavot (par M. Lalique) qui se
voit au Musée du Luxembourg, à la fleur d or entaillée (par
Tiffany) reproduite par M. Falize dans l'article précité de la Gazette des Beaux-Arts.

(2) Les Bijoux aux Salons de 1898, par Henri Vever, 1898,
p. 169 et suiv.

(3) «Son bijou, s'il n'a pas encore les vertus de l'idéal joyau
que d'aucuns rêvent, possède au moins toutes qualités requises :
élégance du crayon, sobriété dans la prodigalité, quasi impeccabilité du tact, joliesses des métiers, virtuosité amoureuse, talentueuse passion des matériaux aimables, entente des colorations,
sens des exquises musiques... Que le jeune maître Lalique,
attiré par sa curiosité des vivantes joailleries, laisse son instinct
d'interroger la nature, aller jusqu'à se retirer en solitude. Les
communions respectueuses méritent le coup de la grâce... Songez,
vous qui forgez l'or, que ces effigies sont presque inaltérables ;
le feu même de la conception les épargne et les restitue
parfois comme des témoins sacrés des horreurs du bûcher et du
sépulcre. Nos descendants vous demanderont, joailliers du
XXe siècle, quelles parcelles des âmes ancestrales vous aurez su
livrer à ces mystérieux confidents.» (Gazette des Beaux-Arts,
1897, 2e semestre, p. 248 et suiv.)


Devant de collier.

Projet de pendant.