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Art et Décoration  Volume VI    Page: 225
 
Les Maitres Décorateurs Français. René Lalique By Roger Marx
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Les Maitres Décorateurs Français. René Lalique

«tout cela, estime M. Jules Rais(1), n'est point
assez pour parler comme il faudrait des ouvrages de M. Lalique.» Nous ne nous sommes
pas fait faute d'en signaler la diversité contrastée ; on doit y insister de nouveau; cependant à les vouloir classifier, la pensée, hallucinée comme par un conte des Mille et une
Nuits, s'éblouit et s'égare : ce sont d'abord de
massives argenteries, des coffrets «bossues
d'améthystes», des coupes, des vases, des
théières, des assiettes, des cendriers blasonnés
de chardons, à l'ornementation robuste, au
galbe imposant, à l'aspect parfois médiéval;
puis de menues orfèvreries intimes, flacons,
cassolettes, étuis, miroirs, faces à main, liseuses, tous bibelots d'usage auxquels M. Lalique prête l'attrait de la grâce et de l'esprit,
selon la tradition toute française de ces délicieux enjoliveurs de riens, si nombreux en
France au siècle passé. S'agit-il des bijoux, le

trouble s'accroît encore; il n'en est pas un que
M. Lalique n'ait rénové, depuis l'épingle,
l'agrafe, la boucle, jusqu'à la broche et la
bague, jusqu'au pendant, au collier et au diadème; il en a même restauré d'oubliés
comme ces plaques, ces devants de corsage et
ces «bracelets de manche» qui marquent à
l'évidence le parti de ne point isoler le
joyau, de réaliser son union avec l'entour;
mais où l'embarras atteint à son comble,
c'est lorsque le souvenir erre de l'une à
l'autre des compositions, sollicité par les
images de ce monde fantastique et réel où le
visage s'auréole de chevelures ondoyantes et
fleuries, où le corps voile et dévoile capricieusement sa souple nudité, où l'être humain se mue
en insecte, en feuillage, tandis que plus loin
les chauves-souris volètent parmi des étoiles de
diamant, que les serpents crispés vomissent de
leurs gueules béantes des torrents de pierreries, que les cygnes glissent en silence sur
l'émail des eaux, tandis que la plus humble
plante montre une splendeur infinie digne de
la parole du Christ : Je vous assure que Salomon, même dans toute sa gloire, n'a jamais
été vêtu comme aucune
d'elles.

Le génie descriptif d'un
Théophile Gautier, d'un
Leconte de Lisle, ou d'Edmond de Concourt, «ce
graveur sur pierre fine de
la prose», se fût échauffé
au spectacle d'une telle
féerie. Un des plus sensitifs stylistes de ce temps
n'a pas résisté à l'envie de
donner la paraphrase littéraire de ces merveilles.
Écoutez M. Jean Lorrain
s'extasier devant la vitrine
des peignes au Salon de
1898 (2). «Neuf peignes
énormes, invraisemblables
de dimensions... que se
disputeront demain tous
les amateurs de Londres
et de Saint-Pétersbourg,
huit d'écaillé et un d'ivoire. Trois surtout me requièrent, le peigne aux
paons, le peigne au poisson et le peigne aux

(1) L’Image, juillet 1897.

(2) Le journal, 22 mai 1898. Voir aussi l'article précédemment
consacré à M. Lalique par M. Jean Lorrain (Raitif delà Bretonne) dans le numéro du Journal du 30 septembre 1897.


Dessin de pendant.

Dessin de bague (développé).

Dessin de pendant.